
Quelles sont les causes de la précarité ?
Nouvel âge d’or pour les uns, hausse de l’instabilité pour les autres. La bande dessinée vit, depuis une vingtaine d’années, un bouleversement qui lui a permis de se diversifier, mais qui a surtout entraîné une surproduction à laquelle les auteurs sont particulièrement touchés. Quelles sont les causes de la précarité en France ? Enquête.
Le marché de la bande dessinée a bien changé depuis l’âge d’or de la BD franco-belge des années 70. A cette époque, la bande dessinée est principalement influente dans les magazines à succès tels que Pilote, Fluide Glacial ou Metal Hurlant. Les auteurs sont payés à la page et peuvent également publier leurs propres bandes dessinées. Entre 3 et 400 nouvelles BD sont alors publiées chaque année, comme le précise le scénariste Jean Van Hamme dans le reportage Sous les bulles. Relativement peu de nouveautés sont publiés, néanmoins la bande dessinée francophone est considérée comme “la plus diverse et la plus créative du monde”.
Au cours des années 1990, la BD quitte peu à peu la presse, alors que 500 nouvelles BD sont comptabilisées. Néanmoins, ce sont les années 2000 qui vont marquer un tournant, avec une véritable explosion du nombre de BD publiées, passant de 1700 à presque 4000 nouveaux exemplaires publiés en 20 ans.
Non seulement les bandes dessinées se multiplient, mais elles se diversifient aussi, proposant une offre qui attire grandement les lecteurs. Les ventes explosent, allant également jusqu’à doubler de chiffre d’affaires en vingt ans. Pierre Lungheretti, Directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, explique ce phénomène par l’attractivité nouvelle de cette industrie : “Depuis plus d’une quinzaine d’années, la bande dessinée connaît en France un nouvel âge d’or. Le secteur s’est imposé comme l’un des plus créatifs et dynamiques du paysage culturel”.

En 2001, 29 millions de BD vendues
230 millions d'euros de chiffre d'affaires
En 2006, 40,5 millions de BD vendues
En 2018, 44 millions de BD vendues
383 millions d’euros
de chiffre d'affaires
510 millions d’euros
de chiffre d'affaires
Constatant l’effervescence de la bande dessinée, nombreuses maisons d’édition se créent. Loin des 60 éditeurs en 1992, ce sont, en 2015, 368 maisons d’édition qui publient au moins une BD par an. De nombreux auteurs y voient une opportunité, une tendance à laquelle ils peuvent participer. Les demandes de publication auprès des maisons d’édition se multiplient, augmentant encore plus le nombre d’ouvrages sur le marché.
Néanmoins, la majeure partie du chiffre d’affaires revient à une poignée d’auteurs qui sortent des livres à grand succès, des “blockbusters”. A côté de cela, la grande majorité des auteurs ne vendent pas assez d’exemplaires pour arriver à gagner leur vie exclusivement grâce à la bande dessinée, puisque les lecteurs sont nombreux mais beaucoup moins importants que le nombre de BD sur le marché.





Top des bd vendues en 2018 (en nombre d'exemplaires)





319 000
281 000
217 000
164 000
157 000
121 000
108 000
97 000
94 000
88 000
Les librairies, surchargée par le grand nombre de livres à mettre dans leurs magasins, en viennent donc à réduire la durée d’exposition des livres. L'auteur David Kubacki, dit Souillon, dénonce la situation par le biais de son personnage Maliki : « Comme la plupart des nouveautés qui inondent le marché, [le livre] va se retrouver posé en rayon une semaine, et disparaîtra la semaine suivante dans les limbes de la confidentialité. Une semaine pour convaincre. Peut-être deux... ».
A cause de la surproduction et de la forte concurrence qui s’établit depuis une vingtaine d’année, les auteurs de BD arrivent difficilement à faire leurs preuves et être rentables. Le rapport des Etats Généraux de la Bande dessinée (EGBD) montre en effet qu’en moyenne, en 2014, les auteurs gagnaient 2 124 euros par mois, mais étaient plus nombreux à gagner un salaire médian de 1 350 euros par mois (le SMIC mensuel étant 1 445 euros brut).
Classement créé à partir des données annuelles de l'institut d'études, le Gfk.
Données recueillies du rapport annuel de l'ACBD, association des critiques et journalistes de la bande dessinée, et du Gfk.